LE MANQUE DE QUI NOUS MANQUE


... and my friends will say that I
am quite myself again
(Robert Lowell)
Sie war in sich, wie eine hohe Hoffnung,
und dachte nicht des Mannes, der voranging.
(Rainer Maria Rilke)

Un jour nous nous sommes retrouvés par la rue,
et tu m’as salué toute étourdie. Comme un connu
que l’on regarde et avec lequel on discute à son propre insu,
mais qu’au dedans ne puisse pas entendre qu’une chanson 
repérée à la distance. J’ai pensée: une de ces journées,
moi aussi je vais tomber sur un autre en m’en rendant compte.
Il arrivera un temps auquel le manque de quiconque manque
se sera exponentié dans le manque du manque. 
Et ce manquement ce sont des mots desincarnées des langues,
des bras qui se brisent avant de s’embrasser, 
des pas qui se dissipent avant les pas. 
Mes amis, s’ils me verrons, ils ne me trouveront pas autre. 
Ils m’inviteront pour du vin. Ils jugeront mon absence drôle.
Ils diront que c’est comme si j’aurais passé un temps à l’étranger,
mais que je suis de retour malgré tout, et plein d’histoires à raconter.
Cependant, comme tous ces passants souriants ou expectants 
qui vite se perdent de vue après s’être serrés les mains
et qui toujours affirment qu’ils resteraient encore plus
mais qui jamais n’y arrivent, c’est le boulot, l’horaire des trains,
des milliers de raison pour qu’ils suivent, j’ai commandé mes saluts
et j’ai poursuit sur mon cours. J’ai ruminé: l’amour, ça doit être 
la chose la plus triste au monde, l’amour qui jamais n’a su
des autres choses et plus que tout est seul et dépourvu.
Il ne veut pas être autre chose, il ne heurte pas avec d’autres corps.
Il ne perd pas ses barbes, ne perd pas ses arêtes, 
et ne désiste des ses raisons, 
même lorsqu’il n’en est pas revenu encore.
Il ne sait pas changer de peau, ne sait pas tenir bon. 
J’aurais voulu tirer ta main et joindre nos chemins,
mais j’ai compris néanmoins que je ne toucherais rien.
C’était comme si la chair l’un de l’autre n’aurait laissé de trace
que dans notre mémoire, chaque jour plus fade.
Et maintenant, changés en ombres, on pourrait au moins
poursuivre libres et sans blâme comme seulement peuvent faire 
ces distraits qui n’ont jamais connu amour hors du dictionnaire.
Puisque, en en faisant la connaissance, on sait déjà trop, on devient fou,
au deçà de la faute, mais aussi au delà du pardon.
À vrai-dire, nous ne sommes jamais été voulus par les dieux,
qui nous avons souvent conçu en rapt et en feu.
Et lesquels nous ont faits frêles aux malheurs et tout d’un coup.
Nous sommes de enfants laids, nous n’avons jamais
eu des privilèges à la maison. Personne ne tentait un mot
consolateur si la nuit chassait des recoins nos refoulements,
ou si les couloirs dégageaient des voix qu’on ne comprenait pas.
Peut-être il n’y a jamais eu un foyer pour nous, et seul nous restât
couler sans répit, comme l’eau des miroirs.
Ou alors il n’y a guère eu de l’eau 
et nous nous sommes mis éternellement à sécher, 
comme un fleuve qui ne sait pas où aller.
Et ainsi, privés de cours, nous égouttons vers le rien,
et sommes et ne sommes pas, incessamment. 
Surtout les dieux abominent les arts des humains,
et punissent les poètes en leur agréant les plus terribles envoûtements,
puisqu’ils insistent en apercevoir des fantômes là
où rien ne se voit, et peuplent le monde avec des songes,
comme si les songes existaient et n’existaient pas.
Mais le étoiles se sont allumées pour nous lors de notre naissance,
et les couleurs ont attendu nos paroles pour venir éclairer le monde.
Et car nous nous sommes devinés condamnés à périr à sa perte,
tout ce qui nous est resté a été d’aimer la vie et de nous attacher
à tout ce qui nous échappe et qu’on ne peut pas empêcher de passer.
Sous l’empreinte légère de tes pieds, il n’y avait pas de terre.
Le vent des événement soufflait sans bouger ta frange. 
Tes yeux éblouissaient tes gestes, au lieu de les déceler. 
Et noms, non, tu n’en avais point, comme ceux qui n’ont pas été nés.
Pour tout cela, si j’ai retourné ma tête pour te regarder,
ça n’a pas été pour ainsi te garder,
mais plutôt pour te perdre une nouvelle fois,
car l’Amour ne se tient pas
tout seul dans celui qui l’a.


UN CERTAIN DON DE TAIRE, LEQUEL NOUS AVONS TU


Si les autres n’étaient pas des imbéciles, 
nous le serions.
(William Blake)
que c’est ennuyant
de s’assoir sur la terrasse d’un café, 
un café où tous ne cessent pas de parler,
qui parlent entre les présents,
qui parlent aussi assis à leurs tables
à leurs portables
que c’est ennuyant
de se rendre enfin compte
comme
ça gêne d’être tellement plus pauvre
la vie (ou leur semblant)
des autres

FEUILLES MORTES


Novembre, nous plaignant, éternue,
et les fenêtres tremblent timorés. 
Novembre fait pleurer les marbres 
et danser les arbres,
arrachant les feuilles des calendriers. 
Une bruine têtue
arrose de nos corps et nous débarrasse
des croûtes de l’argile plus ancienne.
Et nous nous dégageons de plus en plus
sous le vent qui partout nous traîne,
jusqu’à ce que nous gisons amoncelés 
en couches de générations de feuilles tombées.
Mais nous nous refondons aux cendres notre haleine
et nos membres frêles se lèvent des ténèbres, qui l’aurait dit?,
nous envolant vers la lointaine 
comble du midi.
Novembre condense les brouillards en glace,
rendant l'air irrespirable,
dans l'attente acharné d'un soleil
qui tardera à croiser le seuil.
Ces vers sont les témoins,
indécis, rechignants,
de ce qu'on pourrait appeler chagrin
mais qui est l'empreinte seulement
de l'accablante volonté de l'impuissance.
Pour cela il se révèlent bruit à l'ouï,
insensés à l'esprit.
Et plus on souhaite qu'ils se taisent,
plus ils se mettent à crier et grimpent les falaises
de nos gorges muettes, 
beaucoup plus aigus
que nous les avions conçus. 
Novembre repose sur les lauriers de l'oubli.
Tant de songes et mensonges
n'ont laissé trace sur quiconque.
Tous dorment en soldats pétris,
usés des batailles périmées, toujours ajournées.
Il est des milliers d'intifadas 
auxquelles on ne croit vraiment pas.
Et, à tout lever,
le matin nous accueille en tenue de routine,
qu'il faut tremper de sueur pour l'échanger en suite
pour des balles, qui avilissent, mais qui nous accordent
une existence permise en régime d'urgence;
de la liberté, qui est pure possibilité, en vente
selon les taux de l'offerte et demande;
et de la dignité, qui, malgré le beaux propos des écoles,
ce n'est que d'avoir où aller et comment nous le payer.
Novembre tord ses grimaces,
mais ces mêmes rafales qui lui parsèment les cheveux
et plie les essieux 
des gratte-ciel les plus inébranlables,
novembre a secoué chez ma légèreté
des aciers indéfrichables:
quelque part je couve un diamant,
chez moi je vais faire la trouvaille
d'une forteresse imprenable, 
gardée du courage
d'un coeur qui s'impatiente et s'éclate
comme une bombe, mais qui ne tue personne, sinon
me rend du coup plus vivant au dedans.
La girouette montre que novembre vente trop fort, 
mais chaque jour nous nous réinventons
plus fous encore.

LA CONSOLATION DE LA POESIE



I

Il est midi pile, et la marche des heures accomplit 
au bleu une arche infinie
sur la toiture sans couture de Paris.
Plus que des mots, 
des gestes mûrs se dégagent des murs
tatoués qui servent à démarquer propriétés,
corps, libertés d'aller e venir, souverainetés.
Mais le temps court si vite, 
qu’on dirait qu’il nous dépasse hors-jeu, 
donc, si on veut le rattraper,
il est mieux de raccorder nos pieds,
sans risquer de nous écarter ou d’en dévier les yeux.
Il faut alors que je prenne mon déjeuner
et sorte pour promener le chien
et mes membres engourdis de la fraîcheur du matin, en me rendent vers l’obligatoire marché,
devoir de qui se trouve en convivialité.
Parce que nous sommes, au-delà des utopismes,
au fond de fait identiques,
or, nous sentons tous faim, soif et sommeil, 
appétits de bonheur, de justice et beauté,
tracs et craintes, désir sexuel
et toutes les autres circonstances qui conforment 
l’ainsi-dite essence humaine ou son inexistence plus précise.
Car nous sommes égaux par nécessité, et seuls nous séparent
des piètres contingences superficielles, de nuances de peau, gendre, croyance, couches ou tenue sociales,
verbiage ou argot.
Car nous sommes par nécessité égaux,
et nous allons tous à la place,
et tout ce qu’on y fait c’est notre commun propos ou notre commun héritage,
et tout ce qui s’on y dit ou reste omis
c’est de notre avis.
Donc, je rouvre ma porte et la délaisse ouverte, 
mes clés, je les ai ratés,
mais je compte aussitôt me retrouver
à l’égal perdu
parmi ces détours qui nous guettent.
Sur le chemin, je faillis être renversé par des foules de hommes affolés. 
Mais s’ils risquent un salut ou un sourire timoré,
je redoute qu’il n’y ait personne sous leurs gestes vidés. 
Il demandent n’importe quel direction,
mais ils ne se trouvent ni ici ni à destinations,
là où les apporteront les sens insensés
des rues enchevêtrés.
Je réfléchis que ces chemins mi-éclairés 
des rues longés d’édifices de commerce 
vertement me déplaisent
parce que je préfère la sale lumière
de la journée tombée à pic
tel un fard à paupières aux couleurs en biais et aseptiques
des panneaux d’affiches et des vitrines,
qui font éblouir aux vues une folle cécité
qui interdit les miroirs et la solidarité.
Mais je ne désire pas d’autre monde,
puis que je m’en occupe déjà du nôtre. 
De même, je ne ressens pas envie du ciel, 
puis que je le tiens sur mes épaules
et peut m’alourdir autant qu’une stèle. 
Je n’envisage pareillement pas l’ombre,
du moment que je la traîne accroché aux pieds, 
pour le cas d’excès de paix ou de danger.
Or, je parasite toujours ma chair,
et ça seul peut me satisfaire,
puis que je continue comblé du sol qui m’enfonce 
jusqu’au bout des mes ongles,
renfermé sans conditionnelle dans une ville
où j’assiste,
sur les chemins de paralysie et de vitre,
aux corps inoccupés
de ceux qui ne se sont toujours pas réveillé.

II

Je reviens à la maison
laissée en abandon.
Épreuve matérielle de la totale inserviabilité
des agents immobiliers.
Elle n’abrite plus depuis longtemps des habitants,
dorénavant insiste en loger
des mémoires et des revenants.
Elle a sa propre volonté et sa propre moteur.
Si des colombes se nichent dans les interstices des heures, 
c'est que une ombre encore plus grande
n’est pas tout de même pesante
et s’envole vite d’une vitre brisé ou béante.
La lampe de la cuisine éternise
une cohabitation métallique 
dans le vide autour d’une table débarrassée.
Des échos sporadiques
répètent les creux des buffets.
Plus avant, depuis les escaliers,
les marches en bois tantôt aboient, tantôt gémissent,
faute de pas.
Dans un couloir, un vent s’est installé
en hôte définitif,
malgré la rénitence des portes et du tic congénitale de les isoler au vif.
La douche disperse l’eau
du labyrinthe des tuyaux
au lieu de la guider dans sa chute.
Et il serrait si simple de la faire réparer... 
Toutefois, il se serre les dents, il lutte, 
têtu comme une mule,
en dépit de l’art des plombiers
et des efforts gênés et impatients
d’un visiteur aussi obstiné
mais peu au courant
des anicroches du bain,
et qui se désespère, qui vitupère, qui gronde, 
et ensuite cherche le torrent soulageant de l’eau chaude,
mais se résigne et enfin s’effondre
dans le défi de déchiffrer
dans l’embrouillement des robinets
où se cache cette espèce de maneton
qui sert à tirer la courroie du bouchon.
Il y a tout un rythme qui ressort des boyaux, 
des toilettes et lavabos,
ainsi que des chiens
qui disent salut aux humains
depuis l’arrière-cour.
La maison entière est de sa façon
une orchestration dans ou hors-saison
de gazouillements à vent et de craquements sourds, 
de poufs sans raison et des cordes des jurons
dans une parfaite harmonie de cours.
Je suis le fantôme ou pitre aux prétentions de titre.
J’y
suis le bruit.

III

Si des lettres me cherchent, renvoyez-les sans retard. 
Je n’y suis ni pour les factures ni
pour n’importe qui.
Congédiez le postier en lui souriant lorsqu’il repart. 
Dites-le que je me suis égaré à mon gré.
Ainsi qu"une ballese perd dans une écharouflée, 
ou tel que omme se cherche en vain
une aiguille dans une botte de foin.
Où de la même façon que l’on vite s’en éloigne
dans les discussions d’amour la vue du point. 
Ou comme on souvent s’écarte
d’un chien en mégarde de la promenade,
ou, enfin, tel que la compassion, en excédance, 
se déroute vers l’indifférence.
Si des amis m’appellent au téléphone, 
informez ceux qui sonnent
que je ne veux pas qu’ils se dérangent 
en remarquant mon absence.
Qu’ils ne s’en fassent aucun souci,
ni ne polluent mon repli
par des annonces de disparu ou par le fracas 
éparpillé de pas. 
De sorte que tout bruit se garde
pour l’oreille muette des parois,
ou pour la curiosité inné du voisinage.
Et si les oiseaux imposent le silence
à l’azure, soit-il pour révérence,
et non pas pour m’offrir des condoléances...
J’ai besoin de demeurer seul pour que, 
quand je puisse retourner,
j’arrive à reconnaître comme vôtres 
les larmes à m’éclairer le visage sombre, 
celles que mes yeux vous ôtent,
bien que je ni ne les mérite ni n’en rende d’autres.
Mais la solitude comprend, du moins, la moitié
de notre nature mêlée,
et il faut désormais s’y habituer:
des jours nous visiterons avec ses bras qui se cassent 
avant qu’ils nous embrassent,
et leurs yeux souriants,
nous n’entendrons plus ni n’arriveront 
à apercevoir ce qu’ils diront.
Ne m’attendez point.
Si vous devez partir, ne vous détenez pas. 
Un jour la voix surviendra au soin,
mais, pour l’instant, tout ce qu’il y a
c’est son manque. Réassurant,
un silence nous dit des mensonges.
Et une sueur nerveuse et pleine de honte 
écoulent des mots.
Elles sont devenues insensés,
elles déraillent nos propos,
en se lavent nos erreurs des leurs mains, 
à l'attente des matins
qui tardent plutôt de trop.

IV

J’avoue que les hommes ne sont pas faits pour ouïr comme une conque, 
ni n’usent retourner en amour l’amour qu’on leur donne.
Ils savent qu’ils doivent assassiner les choses qui les entourent,
et qu’il leur faut poursuivre leurs travaux coûte que coûte,
pour pouvoir ainsi assouvir le monde e s’acheter sa bouffe.
Et qui cette amertume même tresse
la trame profonde de nos gestes:
nos actions, que de douleurs elles apprêtent, 
même lorsque inconscientes ou involontaires, 
nos laisser-aller et laisser-faire
blessent le monde de telle manière
que le mal semble être
banale et en plus nécessaire,
tandis que la bonté
paraît surtout pareille
à une bravade cinglée,
ou à une maison toute belle,
mais privé de plancher.
Et pourtant, nous pourrions la doter, 
au minimum, d’une nécessité sur le pied,
non pas formelle ou à coup de référendum,
mais concrète, telle un plat ou une fourchette.
Au lieu d’insister à ruminer les remords
d’un enfant que nous n’avions plus espéré.
et qui dans le brouillard d’où il s’est généré 
de son ressort, nous sommes demeurés 
incapables de lui accorder de corps.
Par contre, en nous reposant au sommeil des idées rebattues, 
nous dormons une paix qui est moins paix
que renonce au vrai:
la paix sans paix, la paix des disparus,
la paix des armes empoignées,
le faire-taire des gendarmes sur les pavés, 
l’omniprésente et millimétrique
paix cosmopolite,
la paix capitaliste,
la paix des rabougris, la paix mûr
tombant sans balance de chaque côté du mur, 
dans la paix qui gît dans les tombes,
la paix qui prend des rondes.
Ça ne sera cette paix
qui va m’offrir relais.
Je regains donc en solitaire
la maison exorcisée des mythes,
par où une crevasse de éclairage 
puisse faire glisser
de la dalle infinie des possibilités
le fantôme proscrit d’un monde à présent négligé. 
On dit que revenants ne sont plus vraisemblables,
mais je mas soupçonne que maintes de ces fables 
nous permettent encore de rêver
et seules nous accordent leur don de réalité.
Et qu’une belle matinée,
récemment levés, 
reprendront à nous hanter, 
même que par coïncidence ou aveugle hasard,
malgré notre aversion au contact,
même que par simple manque
ou épuisement des sujets de canulars.
Et ce jour-là
nous nous retrouverons finalement ensemble.

LA VENDANGE BLANCHE


Cet automne la journée est blanche
et abandonne en plein air son don d'abondances.
Le matin nous avait étourdi avec
ses foules de cris et de claires, 
mais, alors que les distances nous ont déserté,
tout ce qui est resté 
c'est du chemin à faire.
L’ après-midi se laisse grimpé 
par les policiers qui escaladent l’immense taupinière 
du favéla en face de mes vitrages.
Le soleil les témoigne et les accompagne 
en montant la pente assis
au-dessus des dos courbés des chaumières.
Et les hanches se balancent accrochées 
au rocher noir allumé
par l’aveuglante clarté.
Les arbres fleurissent des ramages
et les murmures des immeubles de l’entourage 
ni ne plaisent ni n’ennuient.
Ce ne sont que les traces d’une nouvelle journée 
que s’épuise à bout de soufflé,
car elle ne sait pas comment faire pour devenir 
autre chose que pleine nuit,
et petit à petit se cache à sa grande honte,
et, pour qu’on puisse suivre à sa poursuite,
on est censé se plier er ramasser les ombres,
maintes fois mourir, maintes, réveiller.
Mes yeux, mes oreilles, ma bouche.
Je sais bien que je n’ai pas été fait pour discerner
au-delà de la solitude de mon corps.
Toutefois, j’accomplis mon voyage d’automne
et accepte ces couleurs que je ne me suis pas procurées,
mais que si s’écoulent à mon insu de mes pores
tel une jouissance mal à l’aise, crispée et bougonne.
Dehors er dedans, tout ce qui existe
c’est un soleil et une butte.
Et tout autre opposition inutile,
sinon dérisoire: comme sur l’eau pauvre d’une flaque
reluisent les joyaux des étoiles,
ou comme à midi les teints se disputent
et s’éparpillent en des nuances invisibles,
tandis que l’instant petit à petit s’enfuit
des temps de horloges vers celui de l’infini.
Les savants de l’Orient nous ont appris
que chaque homme n’est qu’un chemin.
Et le temps, les marges du chemin.
L’ éternité, les marges de la marge,
cet tépide bleuissement qui nous sourit en coin,
mais que l’on ne ressent ni s’en aperçoit,
et qui demeure néanmoins là-bas,
au-dedans de nos vides, muets à tel point
qu’il est difficile à comprendre
que l’on jamais n’existe. 
Entre-temps, il y a partout les routes.
Elles nous parcourent, nous courbe, nous envoûte.
Elles partage cette sale poussière
qui fait toute notre matière.
Mais combien de voies parviennent à un homme?
Je n’ai jamais pu entendre en outre de ce qu’on nomme
ni connaître la contre-face des nos mensonges.
Les juifs ont conclus à tort que le Seigneur
serait le juge de notre perfection ou perversion de moeurs.
Or, qu’aurait-il-à faire à propos de ce qu’on fait ou laisse de faire?
La ville est une affaire de hommes et seule des hommes,
des disputes de terrain que nous avons affaire
à nos seuls pairs, les autre hommes 
en os et chair.  
Car nos destinées, nous les avons nous-mêmes choisies,
de la même sorte que tout ce qui nos guette
a été à notre gré établi:
la texture de cette assiette, 
l’odeur de renfermé d’une bibliothèque,
la bonne qui fait semblant de 
l’épousseter, et qui vous porte du café 
et qui n’est ni bonne ni mauvaise,
pas même laide ou bien faite, 
peut-être une portion de chaque grâce ou échec, 
de façon simultanée et biaise 
à toute autre prétention de vérité.
Et ses garçons maigres, nous les décidons, 
ainsi que les chambres grêles où ils font les rêves
qui les rêvent, et dont ils se lèvent 
en endormant. Ou qui un beau jour les éveilleront 
en les secouant. Et ça reprend.
Hors de scène, 
le jour qui se tenait debout perd tout haleine.
Dans la chaleur des rues presque consumées,
une lourde pénombre 
met les corps à fondre.
Alors que la lueur, au fur 
et à mesure de son usure,
détache un voile épais de fumée 
qui se dissipe lui-aussi peu à peu.
Et ça n’est désormais plus dans les yeux
ni derrière les étants qui se laissaient voir auparavant.
Tout feu ne dure donc que chez nous,
dans une enceinte 
ou clairière mal éteinte, 
mais qui à l’égal s’hachura graduellement de son tour,
puisque nous mêmes n’avions été après coup
que des souvenirs remis à jour.